29.9.20

C'était hier

(avant novembre 2010)

Finalement, le soleil s'est couché.
Il s'en est fallu de peu
pour que la journée s'allonge au-delà du raisonnable.

Une journée froide
et triste
au goût amer.
Pardonnez-moi cette image éculée.
Froideur tristesse et amertume, c'est dur de faire plus fade.

Comme il est loin le moment où je caressais le clavier,
Mon Dieu quelle horreur, le clavier dis-je
extension mécanique de mes membres

Comme il est loin le moment où je caressais le clavier,
pour poser des mots de douceur et de timidité, et de tendresse aussi.
Sur cet écran blanc dont je m'éclaire le soir.
Comme il est loin ce moment.

Mais c'était hier.

8.9.20

Passerelles

(mars 2016)

 Tokushima 2/20

Les passerelles de liane de la vallée d’Iya sont une importante attraction touristique. Il en existe aujourd’hui trois. La première se trouve à quelques kilomètres de la station d’Oboke. Un grand parking à flanc de montagne capable d’accueillir de nombreux cars a été construit en amont. On y trouve un vaste bâtiment où des souvenirs et des produits locaux sont en vente. Les deux autres sont bien plus haut dans le vallon et moins fréquentées.

On trouve des références à des passerelles de liane dans les archives locales de l’époque d’Édo, indiquant qu’elles existaient alors depuis bien plus longtemps. Il en existait 23 à une époque. Leur origine est inconnue. Certains disent qu’elles ont toujours été suspendues, d’autres qu’avant d’être suspendues elles étaient probablement simplement des passages aménagés sur la rivière pour passer d’une berge à l’autre. Les archives ne permettent pas de conclure.  Après la construction de ponts modernes ces structures archaïques ont été bel et bien abandonnées.

Une fois arrivé sur le parking, je retourne à pied sur la route pour descendre à la hauteur d’un petit pont qui surplombe la Iyagawa et m’amène vers l’entrée de la passerelle, le « Kazura-bashi ». La Iyagawa est une rivière de montagne et on voit par la hauteur des plantes à quel niveau peut monter l’eau dans la gorge lors des grandes pluies du printemps ou des typhons d’été. La forme des roches en contrebas nous laisse imaginer la vigueur du flot et la violence des chocs quand la rivière est au plus haut. Debout sur le pont je vois à courte distance le spectacle des touristes qui franchissent la passerelle en se tenant au garde-corps. La gorge ici est suffisamment large et profonde pour que l’ouvrage apparaisse comme un frêle assemblage peu sûr. Quinze mètres séparent le tablier de la rivière et d’une extrémité à l’autre la structure est constituée de quarante-cinq mètres de bois, de lianes, et je le verrai plus tard, de câbles d’acier dissimulés qui en assurent la robustesse.

Une fois la gorge franchie dans un sens par la route, un chemin guide vers l’entrée du passage qui me ramènera au point de départ. Le guichet franchi, ce sont deux fantastiques arbres qui m’accueillent. Ils servent d’ancrage à la structure qui se dévoile devant moi. Leur présence confirme que cet édifice existait effectivement ici depuis bien longtemps avant d’être reconstruit il y a une quarantaine d’années.

Une rapide observation de l’ouvrage dévoile bien sûr les câbles en acier qui le renforcent. Le matériau naturel qu’est la liane nécessite des remplacements réguliers et la passerelle est ainsi totalement rénovée une fois tous les trois ans. Son tablier est fait de pièces de bois reliés entre elles par d’autres lianes qui dissimulent d’autres câbles en acier. L’espace entre les pièces permet de contempler la rivière, quinze mètres plus bas, et les oscillations de l’ensemble rajoutent au frisson.

Arrivé à l’autre extrémité, un panneau m'invite à continuer vers la gauche, en remontant le cours de la rivière. À quelques dizaines de mètres se trouve une chute d’eau, la Biwa-no-taki, dans un renfoncement du terrain creusé par l’écoulement. La chute tombe dans un réservoir naturel d’où l’eau s'écoule pour se perdre dans la Iyagawa. Le lieu tient son nom du biwa, ce luth japonais utilisé par les conteurs de l’époque dont on dit qu’ils se rassemblaient ici pour transmettre dans leurs histoires chantées le conte des clans Taira et Minamoto en lutte au 12e siècle pour le contrôle du Japon. Des traditions orales qui ont finalement donné le Heike Monogatari, merveilleux texte en prose du 14e siècle considéré aujourd’hui comme un des chefs-d’œuvre de la littérature médiévale japonaise.

7.9.20

Arrivée

(mars 2016)

Tokushima, 1/20

La gare de Takamatsu a été créée à l'image des gares terminus parisiennes, mais sans la couverture des quais. L'espace est grand et invite au départ. Les personnes âgées qui ont connu la période où les voies n'étaient pas encore électrifiées appellent encore les trains qui circulent sur les lignes JR des « kisha », ou trains à vapeur. Il se trouve que l'express qui nous mène à Tokushima est un diesel, mais bien plus rapide que nos anciennes michelines.

La plaine de Sanuki qui compose l'essentiel de la préfecture de Kagawa est vite passée. On a pu apercevoir le château de Marugame sur sa colline. Une fois Kotohira derrière nous on voit les montagnes de la chaîne de Sanuki s'approcher. La chaîne de Sanuki est une petite chaîne de montagnes qui sépare Kagawa de Tokushima. Elle s'étend sur toute la largeur de la préfecture et est longée sur son versant sud par la rivière Yoshino, une des plus importantes rivières de Shikoku.

On traverse le premier tunnel après Kotohira. Une fois sortis, on franchit la rivière Yoshino qu'on retrouvera en aval et on se prépare à rentrer dans le cœur de Shikoku : une chaîne de montagnes qui occupe près de 80 % de l'île et où l'on trouve le sommet le plus élevé de l'ouest du Japon, le mont Ishizuchi avec ses 1982 m. À partir d'ici, la plaine disparaît complètement et laisse place à un enchaînement de vallées qui vont aller en s'amenuisant jusqu'à devenir les gorges d'Oboke-Koboke, ma destination aujourd'hui.

Le soleil est là, mais le givre qui reste par endroits rappelle la froideur des premières nuits d'hiver. Après Kotohira, le train s'arrête à Awa-Ikeda où il est accueilli par deux bonsaïs gigantesques à l'extrémité du quai. Nous sommes maintenant dans Tokushima. La gare est à flanc de montagne. Elle donne l'impression d'être à l'entrée d'un monde différent de celui que l'on a quitté il y a tout juste une heure. Ici ce n'est pas le Japon de la métropole ni celui des temples de l'époque classique qui vit. C'est celui des montagnes qui recouvrent deux tiers du pays, mais qu'on n'aperçoit que de loin, dans les paysages que la plupart des voyageurs ne voient qu'à travers les fenêtres d'un train à grande vitesse ou d'un car autoroutier.

Les vibrations du diesel et les scènes aperçues entre deux tunnels nous confirment que nous sommes ailleurs. Les maisons à flanc de montagne semblent prêtes à glisser sur les pentes formées par les champs inclinés vers la rivière. Les bâtiments construits en bordure de route plongent du côté opposé des piliers d'acier dans les rives en contrebas. Dans un pays si souvent victime des tremblements de terre on se demande comment ces constructions d'apparence frêle peuvent résister à la moindre secousse.

On passe devant une scierie. Des troncs de cyprès empilés, des bâtiments alignés le long de la voie, des cheminées et des empilements de planches. Puis des chemins et des murets de pierre. Un tunnel. Des rochers au bord de la rivière apparaissent furtivement. Un tunnel. Des bâtiments sur pilotis. Le train longe la gorge. Le soleil se réverbère sur la surface de l'eau. La route court en zigzag le long de la montagne et le train semble la poursuivre sans jamais l'atteindre. La transparence de l'eau teint en turquoise les rochers qu'on devine au fond de la rivière. Les premières neiges se laissent observer au détour d'une courbe, pour disparaître derrière le tunnel suivant. Haut dans la montagne on distingue des maisons, éloignées de tout.

Le rapide ne s'arrête pas à la gare de Koboke. On voit au loin des structures importantes, une petite agglomération, des magasins et stations-service semblent s'accrocher à la route pour éviter de tomber dans l'abîme. Le train ralentit. La vallée semble s'ouvrir sur les côtés, mais c'est un mur de montagnes recouvertes de forêts qui nous fait face et qui maintenant surplombe l'ensemble. Après quelques minutes, le conducteur annonce notre arrivée imminente à Oboke. Le train ralentit encore, puis s'arrête. Quand je sors, je suis le seul sur le quai. Un pont en métal rouge et en forme d'arche traverse l'espace. Le train repart et je traverse la voie pour quitter la gare.

6.9.20

Précaires

(octobre 2006)

Des allers, des retours et des
paysages passés, des reflets croisés
sur les vitres du train

Quelques heures passées loin,
elles ne m'ont pas semblé
longues, mais vides.

Alors je m'en retourne
vers ta chambre où l'on parle jusqu'à l'aube
sans sentir la fatigue.

Et où c'est le jour qui nous
endort jusqu'à l'heure du départ.

On n'a pas encore fait le tour
de ce qu'on peut se dire
le fera-t-on jamais ?

Tant que ta main tient mon bras
et qu'on marche le long des avenues
ou dans les allées encombrées,
tant qu'on avance.

Même si on sait qu'on ne va nulle part,
et que ces moments sont juste
des moments.

On peut tout se dire, et le reste aussi.

Tout l'insignifiant, et ce que seules
d'autres larmes ont jamais dit
mais sans bruit.

Sans personne pour entendre.

La précarité ne compte pas.

Elle n'inquiète que ceux
qui pensent à demain.

2.9.20

Un café

J'ai trouvé un café comme à Paris
noir, serré, amer
dans sa petite tasse
sur sa soucoupe, assorties
en mauve et en émeraude

La dame, belle au demeurant
a une cafetière italienne
Son premier café était très allongé
comme les Japonais l'aiment, me dit-elle
Son second était bon
son troisième pulpeux
Elle m'a offert le quatrième

Elle m'a dit
Je peux moudre le grain
plus ou moins finement
Je peux mettre plus ou moins d'eau
Je peux couper le feu plus ou moins tôt
Je peux vous servir dans une tasse rouge
ou bleue, ou verte, ou blanche

Et je lui dis
Madame, votre café est comme à Paris
Mais votre sourire est ici
Et votre main qui me sert
c'est elle qui me retient, Paris est loin.