24.6.21

Stratégie papillon

Je suis parti au Japon en partie parce que je savais que ma vie à Antony allait s'achever brutalement. Il me fallait donc cautériser au plus vite une plaie qui allait saigner longtemps. Je pensais aussi que pour mieux comprendre la souffrance des autres, je devais me mettre en situation de souffrance. Alors je suis devenu étranger.

Quand on est grand, blanc, un peu éduqué et bien élevé, il n'est pas facile de devenir le méprisable de l'autre. Il y a toujours des biais. Mais c'était ça que je voulais devenir. La personne qu'on regarde et à qui l'on parle de haut, la personne dont on dit « il n'en faut pas trop, mais j'en ai quand même un parmi mes amis », la personne à qui l'on explique les yeux dans les yeux que les maux de la nation viennent de gens comme lui, mais vous, vous parlez japonais et vous faites du kendo, donc vous comprenez.

Se mettre en souffrance, ça n'est pas juste pour souffrir, même si ça l'est beaucoup, et j'en aurais parlé à mon analyste si je ne l'avais pas quitté trop tôt parce que fauché, mais aussi pour examiner les mécanismes de la douleur, les mécanismes de l'empathie, et les effets dévastateurs de son absence.

Bien sûr, j'ai échoué, et l'expérience a failli mal finir.