9.10.23

500 mots

(février 2023)

Au début du mois, j'écrivais ailleurs que pour boucler mon mémoire à l'aise au début du mois de juin il me fallait écrire 500 mots sensés et ordonnés par jour.

500 mots.

Sensés et ordonnés.

J'ai tenu 7 jours. Dans cette page d'écran, pas celle dans laquelle vous lisez, celle dans laquelle j'écris, qui est en fait une demi-page, je peux écrire un peu moins de 700 mots. Je ne sais pas si c'est l'absence de repère visuel qui m'a empêché de continuer après 7 jours, ou l'absence de mots, ou l'absence de la certitude de ne pas me planter au bout.

Je sais ce que je dois écrire, et je sais ce que je dois lire pour étayer mon écriture, et je sais qui je dois rencontrer pour vérifier mes hypothèses et je sais avec qui parler de tout ça. Je sais aussi qu'après la date limite de tout début juin j'aurais soit réussi (pas forcément brillamment, mais réussi quand même) soit échoué sans aucune chance de me rattraper.

Cette chance-là je l'ai grillée en juin dernier. Donc repère visuel. Comme quand on marche. On voit l'immeuble, ou l'arbre, et on sait où l'on fera demi-tour. Alors ici c'est la barre bleue qui ferme le bas de la fenêtre.

Quand on est dans un champ, les pieds sur la terre et la houe dans la main et qu'on creuse, on n'a pas l'esprit à procrastiner. On creuse et on se fait des ampoules et quand on voit qu'après une demi-journée on n'a creusé que ça, on se dit que finalement on fera moins de buttes que prévu.

Je me souviens de ces jours. Il faisait chaud, mais j'étais couvert des pieds à la tête à cause des moustiques. Quand le travail avait suffisamment avancé, je passais du côté « mer », juste de l'autre côté de la route. Je me déshabillais et je nageais un peu. Juste assez pour sentir la mer et m'imaginer loin. J'étais là. Dans mon corps qui était dans les éléments. Et je n'avais pas la tête à procrastiner parce que ma tête était pleine de sensations.

Je les ai encore en moi ces sensations. Je ferme les yeux et je m'y retrouve. À des moments différents. À des emplacements différents. À des saisons différentes. Mais toujours tout seul, d'un côté ou de l'autre de cette route qui me ramenait au port ou m'emmenait au bout de la plage et des avancées rocheuses où l'on doit bien accepter qu'un pas plus loin c'est le territoire des poissons et plus le nôtre.

Maintenant je suis au lit. Cette demi-page d'écran illuminée, mais comme chaque soir avec un gros oreiller à droite, pour éviter que la lumière ne gêne Noriko. Même si le tapotement des touches résonne dans la pièce à cette heure silencieuse.

C'est étrange de voir comment ces moments ne sont plus là. 10 ans peut-être. 10 ans d'allers et de retours, d'amis et de repas et de bières et de ferrys, et d'odeurs de mer. C'est là, encore à portée de main. Je peux passer devant chaque matin, retrouver mes amis à la descente du ferry. Mais il y a moins d'enchantement. Il y a les cicatrices d'épreuves, moins de sourires, plus de douleurs qui ne partent plus. On se souvient quand même et on fait un bout de chemin ensemble jusqu'au feu. Et moi je pars vers le bureau alors que l'un ira là et l'autre ailleurs.

Finalement, je n'arrête pas d'y penser à cette ile. Moi qui avais cru y voir mon salut. C'était juste un passage.

10.9.23

Une poussière dans les yeux

Ai-je une poussière dans chaque œil ?
Ou est-ce juste une très grosse poussière ?

J’ai failli tomber hier, ou trébucher. Trébucher amoureux. Donc je n’ai pas trébuché, mais j’ai senti le point où la jambe avance dans le vide et le poids se porte vers l’avant et il suffit d’un mot

Et la poussière est partie
Et la jambe est revenue
Et le poids a recommencé
    à peser sur le sol.

La gravité (qu’il est moche, ce mot)
    fait que quand on tombe, on ne tombe pas vers le haut.

T’es con, vous allez dire, et la Terre n’est pas plate non plus.

Et pourtant

J’ai senti le point où ma tête voit le vide et mes mots se portent vers l’avant et ils sortent sans craindre les pavés 
et ils volent maintenant

19.8.23

M

J'ai pris un pastis. Il y avait une quiche aux champignons. Une salade de tomates. Une laitue. Un roquefort.

C'était sympa. La musique me rappelait que j'ai été libre à un moment. Pas longtemps. 4 ans, ou 5. Et normalement, je me serais senti triste. Parce que la liberté, ou plutôt le rêve de liberté n'est plus aujourd'hui qu'un souvenir. Mais ce soir, c'était différent.

En physique, on parle du moment M, l'instant avant lequel il n'y a rien, et après quoi rien n'existe encore. Quand on lie tous ces moments M, on se pose dans un passé et on s'imagine dans un futur, mais l'instant lui-même est tellement fugitif qu'on ne le sent plus. Il n'existe plus. En fait, il ne peut pas exister. Alors le vide s'installe. Les Ms passés nous aspirent d'un côté et les Ms futurs nous aspirent de l'autre. Et au milieu il n'y a que le désespoir.

Ce soir, il n'y avait qu'un seul moment. Et il a duré. Et c'était chouette. Parce que je savais que tu étais quelque part, à passer un bon moment avec des amis. Que tu allais rentrer heureuse. Que tu allais te coucher. Que tu regarderais peut-être tes messages. Que tu verrais peut-être les miens. Et que tu te dirais, tiens, lui aussi il a passé un bon moment.

Et nos deux Ms, aussi parallèles ou perpendiculaires qu'ils puissent être, ils seraient là, à se regarder de biais, à se dire que finalement c'était pas mal, et qu'on n'a pas besoin ni d'un passé ni d'un à venir pour exister. Et ils rigoleraient et ils s'assoupiraient et ils iraient se coucher.

15.8.23

Reflets

[22:11, 14/08/2023] À propos d'écriture, je voulais dire péniblement tout à l'heure en écrivant d'une main avec les yeux plissés sur l'écran et la lumière du soleil qui baissait, que les échanges qu'on a ce sont des trucs qui font bouger des choses qui étaient entassées au fond. Ça trouble les eaux, mais c'est dans les eaux troubles que la lumière du soleil trouve des chemins inattendus. C'est ça qui m'intéresse. ✔️

[22:12, 14/08/2023] C'est pas facile de transformer l'énergie que donne la détestation du monde en quelque chose de positif, à défaut d'être beau. ✔️

[22:14, 14/08/2023] Ça demande des miroirs où les choses sont diffractées et où les reflets qui restent vont droit au fond des mots. ✔️

13.7.23

Lourdeur

 Ça fait bizarre de savoir Kundera mort.

J’ai commencé à apprendre l’allemand au collège, on était en 80. Donc en pleine guerre froide, mais à 11-12 ans on ne savait pas ce que ça voulait dire. Ma prof était autrichienne.

C’est peu après que maman m’a montré Kundera, elle avait dû lire La Plaisanterie ou Le Livre du rire et de l’oubli. J’étais en seconde quand j’ai découvert à sa sortie L’insoutenable légèreté de l’être. Le Printemps de Prague, l’Est. Pour la première fois sous mes yeux. Maman avait 42 ans. J'en ai 54 cette année.

En 88 j’ai vu le film. C'était mes premières années à l'université. Mon monde débordait. J’en ai encore des images dans la tête. L’insoutenable légèreté de l’être a été mon livre préféré jusqu’à ce que je lise Dalva, de Jim Harrison, que le libraire en face de la fac, M. Benech, m'avait conseillé. Mais c’est surement celui que j’ai le plus donné à des ami·es.

On n'a plus l'âge de nos premières lectures.