Au début du mois, j'écrivais ailleurs que pour boucler mon mémoire à l'aise au début du mois de juin il me fallait écrire 500 mots sensés et ordonnés par jour.
500 mots.
Sensés et ordonnés.
J'ai tenu 7 jours. Dans cette page d'écran, pas celle dans laquelle vous lisez, celle dans laquelle j'écris, qui est en fait une demi-page, je peux écrire un peu moins de 700 mots. Je ne sais pas si c'est l'absence de repère visuel qui m'a empêché de continuer après 7 jours, ou l'absence de mots, ou l'absence de la certitude de ne pas me planter au bout.
Je sais ce que je dois écrire, et je sais ce que je dois lire pour étayer mon écriture, et je sais qui je dois rencontrer pour vérifier mes hypothèses et je sais avec qui parler de tout ça. Je sais aussi qu'après la date limite de tout début juin j'aurais soit réussi (pas forcément brillamment, mais réussi quand même) soit échoué sans aucune chance de me rattraper.
Cette chance-là je l'ai grillée en juin dernier. Donc repère visuel. Comme quand on marche. On voit l'immeuble, ou l'arbre, et on sait où l'on fera demi-tour. Alors ici c'est la barre bleue qui ferme le bas de la fenêtre.
Quand on est dans un champ, les pieds sur la terre et la houe dans la main et qu'on creuse, on n'a pas l'esprit à procrastiner. On creuse et on se fait des ampoules et quand on voit qu'après une demi-journée on n'a creusé que ça, on se dit que finalement on fera moins de buttes que prévu.
Je me souviens de ces jours. Il faisait chaud, mais j'étais couvert des pieds à la tête à cause des moustiques. Quand le travail avait suffisamment avancé, je passais du côté « mer », juste de l'autre côté de la route. Je me déshabillais et je nageais un peu. Juste assez pour sentir la mer et m'imaginer loin. J'étais là. Dans mon corps qui était dans les éléments. Et je n'avais pas la tête à procrastiner parce que ma tête était pleine de sensations.
Je les ai encore en moi ces sensations. Je ferme les yeux et je m'y retrouve. À des moments différents. À des emplacements différents. À des saisons différentes. Mais toujours tout seul, d'un côté ou de l'autre de cette route qui me ramenait au port ou m'emmenait au bout de la plage et des avancées rocheuses où l'on doit bien accepter qu'un pas plus loin c'est le territoire des poissons et plus le nôtre.
Maintenant je suis au lit. Cette demi-page d'écran illuminée, mais comme chaque soir avec un gros oreiller à droite, pour éviter que la lumière ne gêne Noriko. Même si le tapotement des touches résonne dans la pièce à cette heure silencieuse.
C'est étrange de voir comment ces moments ne sont plus là. 10 ans peut-être. 10 ans d'allers et de retours, d'amis et de repas et de bières et de ferrys, et d'odeurs de mer. C'est là, encore à portée de main. Je peux passer devant chaque matin, retrouver mes amis à la descente du ferry. Mais il y a moins d'enchantement. Il y a les cicatrices d'épreuves, moins de sourires, plus de douleurs qui ne partent plus. On se souvient quand même et on fait un bout de chemin ensemble jusqu'au feu. Et moi je pars vers le bureau alors que l'un ira là et l'autre ailleurs.
Finalement, je n'arrête pas d'y penser à cette ile. Moi qui avais cru y voir mon salut. C'était juste un passage.