1.3.16

Samedi dernier

Samedi dernier, je me suis réveillé en retard, Noemi avait vomi toute la nuit, un truc qu’elle a du chopé de son frère qui nous a fait la même chose la semaine d’avant, et avec le boulot qui me fait dormir à pas d’heure la nuit a donc été dure et courte. Le passage de grade commençait à 9 h et il était 8 h 20 quand je suis parti de la maison. Direction le Budokan de Takamatsu. J’arrive à 9 h moins 10, personne. Les parkings vides. Petite inquiétude, puis je me dis que le passage de grade doit avoir lieu au centre sportif municipal. J’embraye et quelques minutes après j’arrive devant l’immense bâtiment. Aucun hakama, seulement des groupes habillés en tenue sportive…


J’avais pourtant envoyé un mail hier soir à mon collègue pour vérifier le tarif du grade et l’heure. Je réalisais maintenant que j’avais oublié de confirmer le lieu… Je me dirige vers un kombini, j’achète une carte de téléphone et je demande où se trouve la cabine la plus proche. La vendeuse me propose à la place d’utiliser le téléphone de la boutique. J’appelle à la maison. Après vérifications sur le web, Noriko me confirme que c’est bien le centre sportif municipal. Je me dépêche d’y retourner et de trouver une place de parking pas trop loin, un truc privé, mais on est le week-end donc ça passera.


Forcément, la cérémonie d’ouverture est finie, et j’ai le droit à plusieurs remarques dans le hall : « Ah Helary ! T’es en retard ! » « Oui, oui, je sais, ohayo, désolé… » « Helary, t’es à la bourre ? » « Oui, je me suis pas réveillé, sumimasen… » J’arrive enfin à l’inscription, le prof me regarde genre « Helary, t’abuses pas un peu ? » Je m’incline à plusieurs reprises pour lui indiquer ma plus grande contrition et il accepte de mettre un rond à côté de mon nom.


Il y a un paquet de shodan qui commencent bientôt. Avec un peu de chance, les 4e dan passeront vers onze heures. Ça laisse du temps pour s’échauffer, pour revoir les katas, pour réviser l’examen écrit et pour papoter. Le passage se déroule dans la seconde salle du rez-de-chaussée, mais on a un espace kendo à l’étage. Je ne trouve pas mon collègue, mais des amis d’un autre dojo où je m’entraîne. Aujourd’hui ils présentent un 3e, un 4e et un 5e. On s’entraîne tous ensembles, légère tension. On se fait un ou deux kirikaeshi, des mens, kote-men, oojiwaza, en faisant bien attention à la posture, au kiai et tout le tralala.


Ils ont l’air légèrement stressés. Moi j’étais parti pour un petit entraînement d’une bonne demi-heure, mais au bout de 15 minutes tout est bouclé. Un peu sur ma faim, je trouve un groupe de jeunes femmes qui ont un 4 au tare et qui s’apprêtent à faire les katas. Ça tombe bien parce que le kodachi quand on est gaucher c’est moyen. Elles sont 3 donc je leur propose de travailler ensemble. Bonne ambiance, on se plante à tour de rôle, heureusement qu’un vétéran est là pour nous montrer la voie.


Je me sens bien aujourd’hui. J’ai repris le kendō l’an dernier en janvier après 3 ans d’absence, mais 3 ans qui se trouvaient dans une période de 12 ans de pratique en dents de scie, depuis que j’avais eu mon 3e dan de manière un peu limite. Je m’étais promis de présenter le 4e dan en février 2016 et donc m’y voilà. La reprise n’a pas été facile. Après trois ans de légère dépression, le corps ne fonctionne plus pareil. Le mois de janvier dernier était terrible. Un entraînement d’une heure chaque mercredi soir, des douleurs dans tout le corps tout le jeudi. En plus de ça j’ai attrapé une sinusite, et en février, un streptocoque. Presque deux mois sous antibiotiques.


En mars je me lance pour un autre entraînement, dans un autre dojo. Je profite de mon permis de conduire nouvellement acquis : 35 min dans la campagne japonaise avant d’arriver, début après 21 h, fin un poil après 22 h. Après un mois, je demande l’autorisation de pratiquer aussi le vendredi. Accordé. Et puis pour faire bonne mesure, je me loue une salle le mardi matin pour me remettre aux bases. Travail au bokuto, avec des grands débutants. Le printemps passe, l’été arrive et je me blesse au poignet droit avec le kensen du shinai d’un partenaire qui me rentre dans l’articulation… Deux semaines après, je me crois guéri et rebelote, au même endroit. Je suis obligé d’arrêter, jusqu’à l’automne, et je reprends tranquillement en novembre.


Pendant tous ces mois, j’ai progressé. J’ai retrouvé les bases, j’ai découvert des choses, mais ce qui m’a le plus aidé c’est le stage qu’on a le mois dernier. Quand je dis stage, ça n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’on a en France ou ailleurs. La matinée c’est passée à faire les katas, mais le prof (8e dan de la police) était tellement occupé à nous améliorer sur les 7 premiers qu’on a passé les 3 au kodachi en 20 minutes… Et l’après-midi c’était une simulation de passage de grade. Bien sûr on est au Japon donc pas de chauffage dans la salle, et on se pèle en attendant son tour. En tout, 2 minutes, puis 1 minute de commentaires des trois 8e dan qui nous ont « jugés ». Et jigeiko de 1 minute avec 2 profs pour boucler l’histoire. Pour moi le commentaire sur mon passage a été ce qui a tout changé. 


Je savais bien que j’avais le bras gauche dur et raide. Mais quand Kuwahara Sensei m’a fait la remarque, il me l’a dit d’une manière qui est restée. Entre le stage et le passage de grade, il n’y a eu qu’un mois. Et avec le travail je n’ai pu m’entraîner que trois-quatre fois, dont mes mardis matins… Samedi j’étais content. J’étais avec mes amis, je m’en suis fait d’autres. J’étais concentré. Le premier tachiai s’est passé en douceur. Posture sans faille, bonne garde, bon kiai, bonnes opportunités. Le second, j’étais plus hésitant. Peut-être fatigué. Malgré le doute, j’apprends à 12 h 30 que je passe. Il reste l’examen écrit (剣道の理念について et 剣道の修練の心構えについて), et les katas.


Mon partenaire pour les katas se déclare de lui-même. Moi j’étais un peu dans la lune. Un monsieur sympa. On a travaillé ensemble pendant une petite demi-heure, et puis on a attendu en papotant. Notre groupe était le dernier à passer. On était tous les deux concentrés, du kiai, les yeux dans les yeux (sauf pendant un instant au 7e…) Et puis tout est allé très vite. La cérémonie de fin de passage, le paiement des droits, les salutations à droite et à gauche. Je retrouve un ami qui habite près de chez moi. On décide d’aller se faire le nouveau hamburger aux pommes de terre de Hokkaido au Mac'Do d’Enza. Et puis c’est le retour à la maison et Noriko qui me dit : « Pas mal, je ne pensais pas que tu l’aurais, vu comment tu t’es entraîné… »




Hier soir c’était mon premier entraînement après le passage. On était 5 dont un garçon de 11 ans. J’ai réalisé que ce samedi avait été spécial. On a cet objectif en tête, et dans le corps, et tout se focalise pour y arriver. Une fois l’épreuve passée, le ballon se dégonfle un peu, et il faut se remettre à bosser, pour faire que ce qu’on croyait acquis le soit vraiment, et pour se préparer petit à petit au prochain passage, dans 4 ans. Je sais ce que je dois bosser : mes jambes, et mes bras. Vaste programme !