4.9.16

(2015) Anticipons.


En pleine nuit, le porte-parole du gouvernement apparu sur les écrans. Pas sur tous d’ailleurs. Seule la NHK n’était pas brouillée et internet semblait ne plus fonctionner. Deux corvettes des garde-côtes japonais avaient été coulées par la marine chinoise quelques heures avant, mais peu de choses filtrèrent avant l’aube.


On sut plus tard que ce n’était pas pour protéger des bateaux de pêche que les corvettes s’étaient aventurées hors des eaux territoriales japonaises, mais pour récupérer un vaisseau furtif endommagé à quelques encablures d’une plate-forme de forage chinoise.


La première journée se passa comme la veille, mais on nous avait conseillé d’accompagner les enfants à l’école et d’aller les chercher à la fin des classes. C’est en début d’après-midi que le système d’alerte local nous invita à cesser toute activité et à rentrer chez nous. Ils n’avaient pas utilisé le terme « couvre-feu », mais personne n’était dupe.


Tout le monde se pressa poliment dans les magasins encore ouverts pour vider les rayons de produits de première nécessité. Les responsables des magasins s’empressèrent de limiter le nombre de paquets ou de boîtes par client, et quelques personnes apparemment d’origine chinoise, ou non, se firent tabasser et voler sur les parkings. Beaucoup furent trop polis pour se mêler aux échauffourées et les délinquants repartirent sans être gênés par ceux qui se disaient dans les queues que tout ceci n’était pas très convenable, mais que ces Chinois avaient quand même du culot.


Il neigea toute la nuit. Les enfants étaient excités, les parents inquiets. Des personnes âgées pleuraient. La police patrouillait et les voyous aussi. Beaucoup de magasins se retrouvèrent vidés avant le lever du soleil. À 8 h nous étions convoqués au centre communautaire où le président et un officier de police que nous n’avions encore jamais vus ainsi qu’un homme en uniforme kaki nous informèrent que la loi martiale avait été déclarée dans la nuit. Le Japon était pour l’essentiel coupé du monde et on n’avait pas de nouvelles d’Okinawa.


Il fut question de rationnement, de contrôles d’identité et de groupes de protection locaux contre les indélicats. Je regardais par la fenêtre s’accumuler les flocons. Tout était blanc et il faisait froid. L’hiver s’annonçait rude.

1.9.16

J’ai abusé du décalage horaire pour boucler Silo Générations que j’avais commencé la veille. Résultat : fini à 4 h du mat, debout à 8 h, retour au lit à 9 h, réveil à 14 h… On n’a plus l’âge des livres qu’on lit…


En conclusion, près de 1700 pages qui se lisent facilement, mais avec quelques problèmes dans les dialogues de la traduction de la partie « contemporaine » qui se déroule aux USA dans les années 2050, donc principalement dans le second volume où j’ai trouvé que le français choisi avait du mal à dé-payser le texte. Il y avait trop de tournures qui restaient collées à l’anglais et qui finalement nous plaçaient dans un entre-deux de la langue où on comprend ce qui est dit, mais sans se sentir dans l’histoire.


En parallèle je lisais le cycle de Tschaï, de Vance. J’avais essayé de m’y mettre il y a bien longtemps, mais je m’étais arrêté aux premières pages du premier volume. Une autre tentative en anglais quelques années plus tard n’eut pas plus de résultats. Cette fois-ci c’est parti d’un coup entre Villeneuve-sur-Lot et Lyon et j’ai même trouvé intéressant que dans Le Pnume le thème sous-jacent soit similaire à celui de Silo. À propos de traduction, j’ai cru déceler une erreur dans Tschaï, mais c’est peut-être un vieil usage du français ou un usage technique dont je n’avais pas connaissance. À un moment on parle de « d en Deneb » pour identifier la lettre « d » si je me souviens bien, qui doit être une copie de « d in Deneb » de l’anglais (je n’ai pas vérifié l’original) et qui semble être « d comme Deneb » aujourd’hui, en tout cas j’ai tiqué…


Aussi bien dans Silo que dans Tschaï, on a une finale qui ouvre des perspectives de liberté : découverte de la Terre dans l’un et retour vers elle dans l’autre, après d’innombrables pages qui nous confinent à un environnement tout autre, à la différence que Silo est post-apocalyptique tendance claustrophobe (le titre annonce la couleur) alors que Tschaï est de la fantasy SF, un voyage tout en couleurs, en odeurs et en saveurs dans un monde qui n’a pas vraiment grand-chose d’oppressant malgré les vaines tentatives de Vance de nous faire sentir la détresse du héros. Tschaï est très linéaire. Le héros avance, se heurte à un obstacle, le contourne habilement, reprend son avancée. Les autres personnages semblent être des prétextes pour apaiser sa solitude et ne font preuve que de peu d’initiative quand elles ne sont pas tout simplement jouées dans l’arrière-plan pour n’annoncer au lecteur que leur résultat et la manière dont le héros va en bénéficier. Silo est plus complexe. On passe d’une époque à l’autre, d’un silo à l’autre. L’héroïne est légèrement moins monochrome que dans Tschai et son entourage d’une multitude de seconds rôles et leurs interactions compensent largement la monotonie de l’environnement.


Il y a des années-lumière de différence dans le traitement du genre dans les deux textes. Chez le Vance de Tschaï (et je crois me souvenir qu’on retrouve ça dans l’essentiel de son œuvre que je n’ai cependant pas touchée depuis bientôt 20 ans) la femme apparaît en arrière-plan, en faire-valoir et partenaire sentimentale du héros. Là encore, pas d’initiative, et en général bagage encombrant qui gêne la progression du héros même s’il fait contre mauvaise fortune bon cœur et s’entiche éventuellement de la demoiselle. Dans Silo, le héros est une héroïne, qui a de nombreuses amies, fortes, les hommes au premier plan ne sont pas des héros, ils sont soit pleins de questionnements, soit sûrs d’eux, mais leurs décisions seront tout de même influencées par les actions de l’héroïne.


Dans les deux livres, même si les personnages sont attachants ils ne se distinguent pas par leur profondeur psychologique. Ceci n’est pas le sujet des textes et ce n’est pas à imputer au genre, on est dans l’aventure, dans le thriller pas dans le roman d’analyse psychologique (j’ai essayé un Bob Morane pendant ces vacances et on est quand même très au-dessus de ça, rassurons-nous).


En termes politiques, Tschaï, comme tous les textes que j’ai lus de Vance, ne s’attarde pas vraiment sur les problématiques de son temps même si l’article de Wikipédia se force à trouver entre les lignes des signes de réflexion sociale. On est dans un « Danse avec les loups » où la relation entre le héros et les civilisations humaines locales n’est pas une relation de fascination amoureuse, mais plutôt un rapport teinté de mépris même si, en tant qu’être humain, il va tenter de les libérer du joug des civilisations extraterrestres qui se divisent Tschaï. Ceci n’est cependant pas le but de sa quête (il pense exclusivement à organiser son départ de Tschaï), et se produit un peu contre son gré comme une sorte d’effet secondaire de son aventure. Silo par contre est un texte fondamentalement politique. On y parle de pouvoir politique, de pouvoir absolu, de religion, de classes, de lutte des classes, de genres, d’environnement, de fin du monde, de technologie, le tout entrelacé d’un peu d’amour et de beaucoup d’amitiés fortes. À la fin on se demande toujours un tout petit peu si les méchants étaient vraiment complètement méchants, mais on a quand même plaisir à les voir s’effacer sous des milliers de tonnes de béton. Le texte est cependant très didactique et laisse peu de place à la nuance.


Finalement, on se trouve bien dans l’air du temps dans les deux cas. Tschaï est écrit entre 68 et 70 et on y sent souffler un vent de liberté où l’individu est fort, dépasse les contraintes de son environnement pour le transformer profondément, parce qu’il le peut, par sa seule volonté alors que dans Silo, on est étouffé par nos craintes du début de ce 21e siècle, un peu comme les millénaristes du moyen-âge qui voyaient le Jugement dernier arriver, ou l’Amérique des années 80 qui pensait encore que les Soviétiques allaient les envahir. Silo est donc un peu un condensé de toutes nos peurs d’aujourd’hui.


Au début je pensais que je m’en tirerais déprimé comme d’habitude avec un roman post-apocalyptique (La Route m’avait laissé sur le carreau), mais il y a plus qu’une lueur d’espoir à la fin même s’il ne reste qu’une centaine d’humains à la surface de la Terre, j’imagine d’ailleurs la scène finale un peu comme celle de la série Battlestar Galactica (la plus récente). Par contre, la dernière phrase de la note aux lecteurs nous replonge dans notre réalité quand l’auteur écrit « J’ai découvert qu’en penchant ma tête à un certain angle et en plissant les yeux, le monde extérieur devient beau. » Forcément, si on doit plisser les yeux dans un certain angle pour voir que le monde est beau, ça veut dire qu’on est quand même profondément dans le caca.


Si c’était ça le sens du livre, la démonstration était un peu longue, mais correspond quand même, il me semble, à l’esprit d’Octavia’s Brood, recueil de nouvelles et essais sous la direction d’Adrienne Maree Brown et Walidah Imarisha, qui tentent de replacer le texte imaginaire dans le contexte de l’action politique où les activistes se doivent d’envisager des mondes meilleurs pour orienter leurs luttes. À ce titre, si Silo est un manuel de lutte pour notre avenir, j’espère du plus profond de mon cœur qu’il sera rendu obsolète par nos luttes d’aujourd’hui.


Pour boucler ces lignes, et ce bilan des lectures de l’été, je dois signaler que j’ai dévoré en quelques heures En finir avec Eddy Bellegueule assis à la table de la salle à manger chez ma mère, après l’avoir trouvé dans sa bibliothèque. C’est un livre troublant qui nous ouvre un monde inconnu ou tout juste deviné puisque comme le suggère Louis, les habitants de ce monde n’appartiennent pas au notre et réciproquement. Même si peu d’entre nous ont opéré un changement de statut aussi radical que celui opéré par Louis un peu contre sa volonté (s’il n’était pas homosexuel, il n’aurait probablement jamais ressenti le besoin de fuir), à 25 ans de distance et en étant parti d’un petit peu plus haut dans l’échelle socioculturelle, j’ai retrouvé des images, des odeurs, des situations, des paroles qui me renvoyaient à ma jeunesse où à celle d’amis ou de membres de ma famille. Il ne faut pas se leurrer, l’ascenseur social n’existe pas pour la majorité d’entre nous et pour ceux qui auront la chance de le voir monter un peu, les « démocraties » modernes sont en train de limiter à tel point la montée qu’il nous faudra bientôt plisser les yeux vers le haut pour ne serai-ce que deviner les feux d’artifice des fêtards de 1 % qui ne se rendront même plus compte qu’ils nous pissent dessus à longueur de journée.


Voilà, septembre arrive, on va bientôt sortir les couettes et je n’aurai pas trop de l’année qui vient pour épuiser la pile de bouquins que j’ai achetés en France cet été…

(2014, lettre à une amie)


C'est une coïncidence. Une amie d'enfance que j'ai retrouvée sur FB il y a 4 ans m'a fait me lancer dans une traduction bénévole gérée par quelqu'un qui avait habité pas loin d'Antony. De fil en aiguille, je découvre que c'est un ancien de Centrale et même ma mémoire défaillante des choses françaises se rappelle que tu y avais étudié. Il a vraisemblablement trouvé ton nouveau nom dans l'annuaire de l'école, ainsi que deux de tes mails. Par politesse je ne les ai pas utilisés, mais je me suis dit que si tu n'existais pas sur le net sous ton nom de jeune fille, tu devais y être sous ton nouveau nom. Et hop.


Je crois me souvenir que la dernière fois qu'on s'est croisé c'était en 95, avec mon amie peintre américaine. J'étais un peu à côté de la plaque à l'époque, mais en réfléchissant bien, je n'ai pas beaucoup changé et c'est peut-être la plaque qui a toujours refusé de se rapprocher de moi. Je l'ai revue à l'été 2004, quand Yuto était dans le ventre de Noriko. On passait voir l'ex-belle-mère de ma femme qui était en phase terminale d'un cancer. Mon amie était toujours en colère.


10 ans ont passé. Bon sang, on se croit immortel, mais des séries de 10 ans, il n'est reste pas des masses. Seulement, isolé dans ma campagne japonaise, je ne les vois pas passer. Si ce n'est pour la technologie, j'aurais coupé tous les ponts avec la France. Mais la technologie je n'y ai pas échappé. En 94 j'étais le premier (et le seul avant un bout de temps) à avoir une connexion internet privée dans ma chambre à la Résidence universitaire. Elle tournait à 9600 bauds, mais ça suffisait pour réaliser qu'on était rentrés dans un autre monde. Sauf que bien sûr, à l'époque, personne n'avait d'adresse mail et donc j'étais limité dans mes correspondances à une demi-douzaine de personnes avec qui je n'avais finalement pas grand-chose à échanger puisqu'ils travaillaient pour l'essentiel à Jussieu et que je les voyais presque tous les jours.


Hier j'ai revu "The Perks of Being a Wall Flower" qui résume assez bien mes années lycée, sans l'essentiel du pathos sexuel (même si j'en ai eu une dose) et avec en plus le fantasme de l'Amérique représenté par l'étudiante de Boston qui était venue au lycée avec l'échange. Et ce matin, alors que tout le monde était allé faire des courses, je suis resté au lit pour boucler Ring, de Frédéric Roux pour conclure mon cycle de lecture de fin d'année qui avait commencé avec un Badiou (Le réveil de l'histoire). Trois uppercuts qui m'ont assommé chacun à leur manière, et qui m'ont réveillé aussi.


L'année commence, les enfants n'arrêtent pas de grandir, et je me demandais donc ce que tu devenais.