30.6.20

Transition

J'ai un ami qui ne travaille que sur son iPad. Jusqu'à présent, je ne travaillais que sur mon ordinateur portable. J'ai eu un téléphone, pas smart, pendant des années, ici, puis j'ai arrêté. Et j'ai repris en octobre dernier, après mon départ inattendu du domicile familial pour partir en semi-ermite sur une petite île de la mer intérieure.

Le travail m'a imposé cette connexion, car il n'était pas facile de vérifier ses mails sur l'île et la seule cabine publique existante ne fonctionnait pas.

Alors j'ai choisi la solution de facilité, ou de lucidité. J'ai pris un dernier modèle, tout rouge, avec une jolie caméra, et entre le ferry de retour de Takamatsu et le lendemain matin je n'étais connecté au monde extérieur que par cette petite boîte.

Je me suis remis à prendre des photos aussi. Olympus est mort, mais les fabricants de smartphones sont là pour la relève.

Ce téléphone, je l'ai laissé à mon fils. J'en ai acheté un d'occasion tout juste un peu moins récent pour ma femme et j'ai repris le sien, avec un écran qui commence à perdre des pixels.

Et puis la transition a eu lieu, jusqu'à sa fin logique. Hier soir, je suis allé au bureau et j'y ai laissé mon ordinateur portable, en me promettant à moitié qu'il ne reviendrait plus à la maison. Hier soir je me suis couché tôt. Pas de Facebook sans fin, pas de twitter sans but, pas de mail à vérifier sans y croire, pas de site web à lire pour prétendre que je fais quelque chose.

Et aujourd'hui, la machine au bureau, le portable avec moi et un clavier Bluetooth à la maison pour écrire avec plus de confort, et des pages à remplir.

Je vais peut-être voir un épisode d'une série américaine avec ma femme, mais après le bain, et après avoir pris le temps de faire la cuisine, la vaisselle, le rangement, après avoir pris le temps de parler aux enfants, de me poser un peu, de lire quelques pages en papier.

Ce n'est pas une machine à écrire avec ruban à encre, mais c'est ce qui s'en rapproche le plus. Blanc sur noir à cette heure, noir sur blanc demain matin. Le cliquetis des touches est léger. Je me laisse porter par la friction qui limite les déplacements dans cette interface. Pas de raccourci clavier pour passer d'une application à une autre, pas donc, ou plus donc, le désir d'aller voir ailleurs.

Le plaisir de se concentrer, sur la table de la cuisine, sur la nappe en coton blanc, devant la bouteille de mugi-cha, et à côté des biscuits au chocolat que Yuto a faits dimanche quand son amie est venue.

Je n'avais plus été dans cet espace-temps de tranquillité et d'apaisement depuis de trop longues années. Profitons-en.

27.6.20

Les mésaventures de Monsieur M.

J'aime bien Monsieur M. C'est un petit entrepreneur. Il est brocheur. L'autre jour il y avait une réunion de l'association des petits et moyens entrepreneurs locale qui rassemblait des membres à son atelier. Pour parler d'un des produits qu'il voulait lancer au sortir de cette crise qui l'a vu perdre la moitié de son chiffre d'affaires.

Sur 15 personnes, 12 n'avaient que des commentaires négatifs à faire. 3 étaient intéressés.

On a parlé du produit au bureau cet après-midi, autour d'un mugi-cha tiède.

Il s'agit d'un livre géant en carton blanc qui s'ouvre sur un plan de taille A0 et qui est destiné aux enfants, en particulier.

Les commentaires négatifs étaient surprenants. Et le pompon est allé au "trop cher" suivi d'un "ça sert à quoi" d'un comptable. Ce même monsieur avait déjà sorti une connerie stellaire lors d'une réunion du même type chez un autre entrepreneur. Mon expérience des comptables ici n'est pas positive, mais c'est la première fois que j'en rencontre un qui est con. Cependant, vu le nombre d'employés qu'il a, on a la preuve s'il en fallait, que la connerie n'empêche pas la réussite financière.

Monsieur M. vit dans des contraintes que j'ai du mal à imaginer. Il a une demi-douzaine d'employés, des machines qui coûtent la peau des fesses, et tout ça à payer tous les mois alors que l'argent à de plus en plus de mal à rentrer.

Il est brocheur, donc il fait beaucoup de livres. Plein de trucs pas intéressants aussi, mais au moins il a la passion des livres.

On a beaucoup parlé aujourd'hui. Une vraie session de développement produit où l'on a évoqué l'utilisateur final (l'enfant) qui n'est pas l'acheteur (le parent, ou autre), des formes et tailles adéquates, des "accessoires", de la manière de le présenter, à qui, pour quoi.

Bref, ce brainstorming qui aurait dû avoir lieu dans son bureau l'autre jour a permis d'identifier quantité de problèmes, et autant de solutions, mais également des règles possibles pour ce genre de réunions. Les commentaires négatifs qui n'aboutissent pas à une amélioration du projet ne devraient pas être autorisés, et baisser les prix parce que "c'est trop cher" n'est pas une amélioration du projet...