Et j’ai trouvé un marchand de fruits et légumes qui les vend par caisses de 10 kg. C’est le paradis.
Sauf que des fois j’oublie qu’on n’en mange pas 20 kg en 2 semaines, et j’en commande un peu trop.
L’autre jour, je passe donc la commande de 20 kg, et je dis à ma femme
— Mon ange, je t’aime, j’ai commandé des pommes de terre !
— Une seule caisse ?
(silence)
— Si tu as commandé 2 caisses, tu en annules une.
(je regarde en diagonale la vitesse d’échappement des nuages derrière les vitres pas super propres de la salle à manger)
— Oui Noriko. Tu sais que je t’aime ?
— Une caisse.
— Ok.
(avec une voix faible et une timide oscillation de la tête pour lui montrer que j’avais bien compris)
Bon, je n’aime pas annuler des trucs, c’est pas sympa pour les petits commerçants, et j’aime bien les pommes de terre.
Ce soir-là, c’était l’anniversaire de Noemi. 14 ans. Je lui avais commandé un saucisson basque (elle a été ravie quand je lui ai dit que son cadeau, ça n’était pas un livre) et j’en ai donc profité pour aller chercher les deux caisses commandées.
Le marchand est très gentil, en plus il me fait une réduction, génial, 20 kg, je me demande comment cacher la came en chargeant la voiture, et je rentre.
Notre voiture c’est un peu moins le bordel qu’avant. Avant on avait un truc plutôt gros, 8 places, qui suçait de l’essence comme un nouveau-né qui vient de se vider les intestins, et il y avait plein de recoins dans lesquels on retrouvait souvent, des années après, de souvenirs d’enfance, genre sucettes fondues, etc.
Maintenant, on a une Aqua, d’occasion. On a une consommation dont on n’aurait jamais rêvé même dans nos songes les plus fous. Avant, on faisait 8 km au litre (j’aime bien la manière japonaise d’indiquer la consommation, ça te met direct devant tes responsabilités), maintenant, on en fait 30.
Bon, elle est plus petite (je n’ai jamais vraiment compris pourquoi il nous avait fallu une 8 place à l’époque, mais à ce moment-là je n’avais pas trop mon mot à dire, pas le permis ni rien…) et elle est blanche (avant elle était grise, donc la saleté se voyait moins), et on ne peut pas déménager avec, mais il y a toujours autant de bordel dans le coffre.
Arrivé à la maison donc, et pensant que le coffre serait le dernier lieu que Mon Ange™ irait vérifier, j’y pose donc une caisse, habillement (que je croyais) dissimulée par le pare-soleil, la toile bleue de 20 m² que j’ai du acheter pour un truc, mais je ne me souviens pas, et la natte en paille qui n’a jamais vraiment rien eu à faire dans ce coffre.
Comme je déteste mentir, j’essaye de ne jamais me mettre dans une situation où une question me forcerait à dire une vérité qui fâche. Alors la caisse bénie, je la mets bien en évidence devant l’étagère qui nous sert de garde-manger, et je passe vite aux lasagnes fraiches que j’avais promis de préparer pour Noemi (les lasagnes ça vient de ma mère, et les crêpes, de mon père).
Voilà. Tout aurait dû bien se passer. J’avais vaguement prévu de remplir subrepticement la caisse autorisée avec le contenu de la caisse non autorisée, petit à petit, sans que personne ne se doute de la manœuvre, mais le réchauffement climatique ou un autre esprit maléfique en a décidé autrement.
Pour une raison qui m’échappe, Noriko a ressenti le besoin d’ouvrir le coffre ce matin alors qu’elle accompagnait les enfants à leur première piqure anti-covid. Et, alors que l’état du coffre ne lui pose en général aucun problème, et que la vaccination n’a aucun, mais alors aucun rapport avec ce qui pouvait se trouver dans le coffre à ce moment-là, j’ai reçu un message il y a une demi-heure :
— Découverte d’une caisse de pommes de terre dans le coffre.
Stupeur et tremblements… Je sens que je vais être chargé de purée et autres patates sautées pendant les nombreux jours qui viennent… Ceux qui ont des recettes simples sont invités à me contacter ASAP.