Bonjour,
Vous m'avez convaincu. J'ai appelé mon parrain hier. Je passerai une nuit à Perros en septembre, à mon retour de tous les lieux que je vais voir d'ici là. Il me restera quelques jours à Paris avant mon départ pour le Japon.
Hier je parlais avec une vieille amie de Tokyo. On se disait que l'exil pose un fond de douleurs sur lesquelles se superposent toutes les autres, celles normales, de la vie de tous les jours. Mais tout est tellement enfoui qu'il est difficile de faire la différence. C'est comme le fond du ciel qui contient encore les choses diaphanes qui datent de la création de l'univers. Il faut habilement soustraire tout ceci pour voir les phénomènes qui nous entourent vraiment.
(Les oiseaux commencent à chanter. J'ouvre la fenêtre même s'il fait encore un peu froid.)
Après cet échange, j'ai diné avec papa. Il a devant sa table, posées sur un petit meuble à hauteur du regard, ces vieilles photos noir et blanc de nous. Des photos d'il y a cinquante ans. Nous étions assis sur le parvis de la maison d'une tante sur la rue des Sept Îles, avec l'oncle, muet, et l'autre tante, la mère de mon parrain. Nous n'avons jamais connu nos grands-parents. Ils sont morts tous deux de la tuberculeuse avant la fin de la guerre. Papa avait neuf ans.
La maison a disparu, les maisons voisines que nous connaissions bien, aussi. Il reste un immeuble, et là où le jardin se trouvait, un parking, fermé par une grille épaisse qui nous empêche de voir où se trouvait le banc devant la maisonnette qui nous hébergeait, l'allée qui menait aux poiriers, le cabanon vert où nous passions les journées pluvieuses, et l'abri à outils envahi de toiles d'araignées qu'on retirait chaque été.
(Je crois me souvenir que Pierre Jakez Élias est de votre région. J'ai eu un moment très « Breton » il y a longtemps. Serveur dans une crêperie à Montparnasse, quelques cours de langue à la Mission, musique et un peu de danse. J'en ai conservé des CD qui m'émeuvent encore un peu.)
Encore hier, il faut bien remplir sa première journée de choses communes pour retrouver ses ancres, j'étais assis à une terrasse, devant la place de la mairie d'Alfortville. Et j'essayais de comprendre ce que voulaient me dire les sons, les gestes, les lumières, les objets, qui m'entouraient. J'essayais de faire remonter toutes ces expériences d'il y a bien longtemps (même si je n'ai jamais fréquenté cette terrasse quand je vivais ici). Les voix fortes venant de l'intérieur du bar, à 21 h, ne sont pas les mêmes que celles que j'entends au Japon. Elles ne résonnent pas des mêmes expériences (j'exprimais un peu ça quand nous attendions l'embarquement). Mais elles évoquent quantité de bars, de terrasses, de moments joyeux, qui n'existent qu'ici.
Avec des amis du Japon, j'ai contribué des textes à un petit livre que nous avons autopublié. Il s'appelle « Écrire à Tokyo ». Si vous venez un jour, il pourrait vous servir de guide pour voir les choses dont on ne parle pas dans les guides. On le trouve justement à la librairie d'Alfortville devant l'église où j'ai promis d'apporter des cafés ce matin.
Reposez-vous bien.
Jean-Christophe